Movember Acte III : Jour XVIII.
COMME AUTREFOIS, UN COEUR D'ENFANT
J'ai cinq ans. Mes nattes virevoltent au gré du vent capricieux. Je ris. Je danse avec toi jusqu'à m'en étourdir. De mon doigté maladroit, je trace sur le vélin des portraits de toi. De mes pensées de bouton de rose, souvent tu occupes l'entièreté. Je te présente à mes amis. Dans une bourrasque de magie, tu deviens leur ami à eux aussi. Tu m'invites à te chevaucher et nous partons tous deux vers une odyssée des plus rocambolesques à travers les forêts où nichent tes cousins mythiques. Je respire. J'ai le cœur léger et l'esprit gorgé de liberté.
J'effeuille les pétales de marguerite et les pages de l'agenda. J'atteins l'âge de raison. L'âge d'incompréhension, l'âge d'appréhension. Comme éparpillées par la tempête, mes joies d'enfant se dispersent. Mes yeux s'ouvrent sur un monde second, mes perceptions s'embrasent en un amalgame des plus complexes. Tu me visites un peu moins souvent maintenant. Secrètement, j'entends le martèlement de tes sabots qui résonne dans mon crâne étroit. Et si je tends l'oreille, à travers la tourmente j'entends voleter la nuée de papillons bleus et verts qui t'escorte tel un escadron de légèreté.
Le temps qui file s'affaire à laisser sur ma peau des sillons de sagesse. Mon être se sculpte dans un tronc rigide. Mais parfois, si un sourire béat se fige sur mes lèvres et que je laisse jaillir un fou rire selon les apparences inexpliqué, c'est que je devine du coin de l'œil l'éclat de ton pelage d'albâtre et que tu me chatouilles la nuque de tes vibrisses taquines. C'est ainsi que, le temps d'un songe frais comme le printemps, je plonge sans culpabilité dans mon imaginaire déraisonnable.
Et un jour. Un jour, lorsque j'aurai contemplé le cycle des saisons jusqu'à en connaitre par cœur la gamme des couleurs, lorsque le poids des ans se fera fardeau et que la nature aura eu raison de mon corps fatigué, je glisserai une ultime fois la main dans tes crins d'argent et d'une espérance ferme, je m'envolerai avec toi vers un lieu ignoré et j'aurai, pour un instant d'éternité, le cœur léger et l'esprit gorgé de liberté.
Texte: Julie St-Hilaire
Dessin: Emery Panneton